- NITRÉS (DÉRIVÉS)
- NITRÉS (DÉRIVÉS)On appelle dérivés nitrés des composés organiques dont la formule comporte au moins un groupe fonctionnel 漣2 lié à un atome de carbone qui peut être saturé, éthylénique ou aromatique. La structure électronique de cette fonction correspond à un système de deux doublets partagés entre les trois atomes dont la conjugaison rend symétrique la distribution et équivalents les deux atomes d’oxygène. Son écriture implique deux formules limites de poids identiques:O 略+ 漣- 兩 - 漣+ 略O.||La fonction simple nitro ne se rencontre pas dans les produits naturels: elle intervient cependant dans de rares composés à fonction mixte comme l’antibiotique chloromycétine (formule 1). Les dérivés nitrés constituent des intermédiaires de synthèse très importants, car leur réduction est une des meilleures préparations des amines aromatiques (synthèse de l’aniline par réduction du nitrobenzène); certains ont un intérêt par eux-mêmes; quelques-uns sont des parfums, beaucoup sont des explosifs.PréparationsNitroalcanes. La nitration directe des hydrocarbures saturés par l’acide nitrique se produit en phase gazeuse à température élevée (400-500 0C) avec un temps de réaction très court. Les premiers termes de la série des nitroalcanes primaires sont ainsi élaborés industriellement [cf. ALCANES]. La préparation fait intervenir à la fois un craquage thermique de l’hydrocarbure et une réaction radicalaire en chaîne des fragments formés avec l’acide nitrique moléculaire. On obtient des mélanges de nitroalcanes que l’on sépare par distillation.Les alcanes moyens linéaires sont nitrés en phase liquide par ébullition avec un acide nitrique moyennement concentré. La réaction n’est pas sélective mais les mélanges ainsi formés sont difficiles à séparer.Au laboratoire, on prépare les nitroalcanes primaires et secondaires par chauffage du bromure ou de l’iodure d’alkyle correspondant, avec le nitrite de sodium dans le diméthylformamide; on obtient un mélange, en proportions sensiblement équivalentes, du nitroalcane et de son isomère nitrite d’alkyle, facile à séparer par distillation fractionnée:Cette double orientation de la réaction de substitution de l’halogène par le réactif nucléophile nitrite est liée au caractère ambident de ce dernier, qui peut réagir soit par un atome d’oxygène (nucléophile dur), soit par l’azote central (nucléophile moyen), sur le site carboné (électrophile moyen à mou selon la nature de l’halogène).Le nitrométhane est préparé par chauffage de l’acide chloracétique avec une solution aqueuse de nitrite de sodium: l’acide nitroacétique formé subit instantanément une décarboxylation qui conduit au nitrométhane:Le tétranitrométhane résulte de l’action, à froid, de l’acide nitrique fumant sur l’anhydride acétique.Nitroalcènes. En dehors du nitrostyrène, obtenu par action de l’acide nitrique sur le vinylbenzène, les nitroalcènes proviennent normalement de la facile déshydratation des alcools 見-nitrés, eux-mêmes formés par condensation du nitrométhane en milieu faiblement alcalin sur des dérivés carbonylés:Nitroarènes. Les hydrocarbures aromatiques sont nitrés par un mélange d’acides nitrique et sulfurique dans des conditions de concentrations et de température qui dépendent de la réactivité du substrat. La présence sur ce dernier de substituants alkyle ou de groupes fonctionnels électro-donneurs par conjugaison (phénols, amines) active la réaction.Le premier groupe nitro introduit dans la molécule la désactive et rend plus difficile une seconde nitration [cf. BENZÉNOÏDES]. L’acide nitrique fumant ou le mélange acide nitrique ordinaire-acide sulfurique, au-dessous de 20 0C, ne nitrent le benzène qu’une seule fois. La solution acide nitrique fumant-acide sulfurique provoque, dès 20 0C, une double nitration, essentiellement en position méta. La désactivation du dinitro-1,3 benzène est telle que le trinitro-1,3,5 benzène n’est obtenu que par une voie indirecte de décarboxylation de l’acide trinitro-2,4,6 benzoïque, lui-même préparé par oxydation chromique du trinitro-2,4,6 toluène.La mono- et la dinitration du toluène sont faciles, et l’introduction du troisième groupe nitro est possible dans des conditions un peu plus sévères.Propriétés physiques et applicationsLes dérivés nitrés sont des molécules associées par interaction dipolaire, ce qui explique leur température d’ébullition relativement élevée dès les premiers termes; le nitrométhane bout à 102 0C; le nitrobenzène à 211 0C; leur moment électrique permanent étant respectivement de 3,46 et 3,95 debyes. La permittivité élevée des dérivés nitrés liquides en fait de bons solvants aprotiques polaires. Les premiers termes des nitroalcanes primaires sont utilisés comme tels pour la dissolution des résines de polyvinyle, de polystyrène et de polyacrylonitrile. Le spectre infrarouge est caractérisé par deux bandes vers 1 600 et 1 450 cm-1.Le nitrométhane est faiblement soluble dans l’eau; cette solubilité diminue pour les homologues et le nitrobenzène est déjà pratiquement insoluble. À la différence des dérivés tertiaires, les nitroalcanes primaires et secondaires se dissolvent lentement dans une solution de soude avec formation d’un sel; ces propriétés acides sont dues, d’une part, à l’effet électro-attracteur du groupe nitro qui rend pseudo-acide l’hydrogène porté par le carbone voisin et, d’autre part, à la conjugaison du carbanion formé par arrachement de ce proton (réaction 2 a). Le pKA du nitrométhane est de 10,2, celui du nitro-2 propane de 7,8. L’anion de la base conjuguée est ambident (c’est-à-dire qu’il présente deux sites de réactivité nucléophile) et sa charge négative est partagée entre le carbone porteur du groupe nitro et l’oxygène de celui-ci. Cette situation est semblable à celle d’un anion énolate et, comme dans le cas de ce dernier, la reprotonation se produit au niveau du site basique dur, c’est-à-dire de l’oxygène, et conduit à une molécule isomère appelée aci-nitro, analogue de l’énol (réaction 2 b). Lorsque cette dernière présente une conjugaison complémentaire, comme dans le cas du phénylnitrométhane C6H5CH22, elle peut être isolée sous une forme métastable (t f = 84 0C), qui peu à peu redonne l’isomère normal nitro (t éb = 225 0C). En solution dans le méthanol aqueux, le paranitrophénylnitrométhane se trouve en équilibre avec 0,8 p. 100 de son isomère; cette proportion est de 16 p. 100 en solution dans la pyridine.Le nitrobenzène possède une odeur qui rappelle celle des amandes amères; résistant aux alcalis, il est parfois utilisé sous le nom d’essence de mirbane pour parfumer des savons bon marché.Plusieurs alkylbenzènes trinitrés qui renferment un groupe tertiobutyle ont une odeur musquée et sont utilisés en parfumerie sous le nom de musc-toluène et de musc-xylène (formules 3).Les dérivés polynitrés des cycles aromatiques sont des explosifs de sécurité, principalement employés en artillerie; peu sensibles au choc, ils ne détonnent que sous l’influence d’une forte amorce de fulminate de mercure ou de nitrure de plomb. Le plus connu est le trinitro-2,4,6 toluène (T.N.T.) ou tolite qui, fondant à 81 0C, est facile à manipuler; il sert de standard pour la mesure du pouvoir de destruction des autres explosifs. Le trinitro-2,4,6 phénol ou acide picrique est un explosif plus puissant que le T.N.T.; son sel d’ammonium a été utilisé comme explosif retard dans les obus perce-blindage.Propriétés chimiquesTous les dérivés nitrés sont réductibles en amines primaires. Cela peut être réalisé par voie catalytique (hydrogène sur nickel) ou par voie chimique (chlorure stanneux, sulfure d’ammonium, fer en présence d’un acide minéral, etc.).En ce qui concerne les dérivés aliphatiques, on isole rarement l’hydroxylamine intermédiaire. Cette réaction est utilisée pour préparer une amine primaire exempte d’homologues secondaire et tertiaire:Le nitrobenzène est généralement réduit en aniline par hydrogénation catalytique en phase gazeuse sur catalyseur de cuivre, ou par le fer et l’eau en présence d’une quantité catalytique d’acide chlorhydrique:Dans le cas des dérivés aromatiques, la réduction peut être ménagée et on obtient, en fonction du pH, divers intermédiaires. En milieu neutre ou faiblement acide, on s’arrête à la phénylhydroxylamine, par action du zinc en poudre dans une solution aqueuse de chlorure d’ammonium, ou par réduction cathodique en milieu acide sulfurique à 10 p. 100:En milieu fortement acide, la phénylhydroxylamine se réarrange en paraminophénol, dont c’est une préparation industrielle. En présence de potasse méthanolique à chaud, la réduction conduit à l’azoxybenzène, produit de condensation du nitrosobenzène initialement formé et de la phénylhydroxylamine qui résulte de son hydrogénation; dans ce cas, le réducteur est l’anion méthylate qui est oxydé en formiate:Traité par l’amalgame de sodium en présence d’eau, le nitrobenzène donne l’azobenzène qui est hydrogéné par la poudre de zinc et la soude en hydrazobenzène:Chauffé en présence d’acide fort, ce composé s’isomérise en benzidine:Plusieurs de ces composés de réduction présentant un intérêt pratique, le nitrobenzène est un important intermédiaire industriel.Du fait d’une importante pseudo-acidité des dérivés nitrés primaires et secondaires (voir propriétés physiques et applications), il résulte une tautomérie (nitro)-(aci-nitro) comparable à celle des dérivés carbonylés (cétone)-(énol).Les halogènes remplacent facilement et sélectivement les hydrogènes pseudo-acides et la substitution peut les concerner successivement s’il en existe plusieurs. Le nitrométhane conduit ainsi à la chloropicrine, Cl3C2, utilisée comme insecticide.En milieu faiblement alcalin, les dérivés nitrés primaires et secondaires se condensent sur les aldéhydes et les cétones dans une réaction analogue à la cétolisation. Les alcools 見-nitrés ainsi formés se déshydratent facilement en nitroéthyléniques:Ces produits possèdent une double liaison fortement activée par le groupe nitro et subissent, en présence de catalyseur basique, l’addition de Michael de composés à méthylène actif comme le malonate d’éthyle.Dans les dérivés nitrés aromatiques, le groupe nitro qui est conjugué avec le système 神 du cycle désactive ce dernier vis-à-vis des réactifs électrophiles et l’active vis-à-vis de la substitution nucléophile (cf. BENZÉNOÏDES, AROMATICITÉ). Il augmente l’acidité des fonctions carboxylique et phénol portées par le cycle, faisant passer le pKA de l’acide benzoïque de 4,21 à 2,17 pour son dérivé orthonitré et celui du phénol de 10 à 1,02 pour le dérivé 2,4,6-trinitré (acide picrique).
Encyclopédie Universelle. 2012.